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21 août 2008 4 21 /08 /août /2008 07:45


Une ville invisible (d’après Italo Calvino)

Les villes et les échanges – Mercatia

 

 

Pour aller à Mercatia le voyageur utilisera un véhicule motorisé. Les rares piétons qui s’y rendent prennent des risques insensés à emprunter les longues voies d’accès de bitume noir, zones de décélérations donnant sur de multiples giratoires. Ces rues circulaires éclatent comme autant d’étoiles où, sur le bord de chaque branche, d’innombrables panneaux indicateurs se mêlent aux affiches publicitaires. Ici des photographies de produits consommables, là des symboles de la monnaie locale interpellent tels des flashs les occupants des bolides.

Puis apparaissent les constructions comme sorties de boîtes de Méccano, des cubes de tôle ondulée grise ou blanche disséminés de part et d’autre du dédale de ruelles, certains blocs accolés, d’autres plus isolés et plus immenses.

Leurs façades, seules surfaces vitrées de ces hangars, donnent sur de gigantesques places sur lesquelles stationnent les automobiles qui ne cessent d’alterner, de se croiser comme dans un jeu de chaises musicales, sauf qu’ici tout se passe dans un brouhaha de moteurs et de bruits métalliques.

A peine sortis de leurs voitures, les citoyens grouillent, s’entrecroisent. Ils se précipitent sur des chariots grillagés encastrés les uns dans les autres qu’ils désincarcérent et guident en direction des bâtiments d’où leurs congénères sortent tout aussi pressés qu’eux. A la différence près qu’à la sortie les caddies sont pleins de denrées mangeables ou non. L’échange n’a rien de commun avec celui des sept nations. Les « barques » ne sont pas pleines de gingembre à l’arrivée et toutes aussi pleines de pistaches au départ.

A observer ce spectacle on pourrait croire que ces hypermarchés auto produisent les articles que s’empressent de stocker dans leurs chariots tous ces habitants. Il n’en est rien ; l’alimentation des entrepôts commerciaux de cette ville n’est effectuée que dans les ténèbres afin de ne gêner aucune circulation diurne de flux consommatoires. Elle se fait par gavage, par transbahutage de colossaux conteneurs vers les  antres des magasins immobiles, ceux-ci ne semblant jamais parvenir à saturation.

 Et pourtant, au matin recommencent les va-et-vient des citadins qui, dès qu’ils ont empli un caddie, s’en vont le déverser dans leur véhicule, et partent à la recherche d’un nouveau stationnement devant la grande surface voisine, la halle géante, le bric-à-brac titanesque ou l’extraordinaire comptoir d’en face.

Telle est Mercatia qui engloutit dans l’ombre pour mieux régurgiter le jour. A part les engraisseurs de l’éléphantesque machine à vendre, les habitants disparaissent au crépuscule pour mieux revenir et exister le lendemain.

 

 

sb.19/08/2008     merci à Anne pour cette découverte des Villes invisibles.                                                      Glutt                                                 

 


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commentaires

N
Ces gens là se seraient-ils rencontrés dans une grande ville très visible ?
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S
Il me semble que tu ne te trompes pas. A bientôt.
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C
ça je sais qui l'a postée
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A
ça me fait plaisir que tu l'ai lu, je me doutais que ça te plairait. Bravo pour le texte, il est très fidèle à l'oeuvre de Calvino.
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